Les salariés sont-ils en marche ? Quelque soit leurs prédilections politiques, ils seront particulièrement vigilants sur 4 propositions du programme d’Emmanuel Macron : réforme du code du travail par ordonnance ; réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle ; remise en cause de la fonction publique ; réforme du système de retraites. L’UGICT-CGT décortique le programme d’Emmanuel Macron…

Le dimanche 7 mai 2017, les électeurs et électrices ont encore une fois fait le choix d’éliminer nettement le Front National de la course à la présidentielle. La CGT a œuvré à faire barrage à l’extrême droite et se félicite de ce résultat clair. Il ne doit toutefois pas occulter la progression préoccupante du FN qui double son nombre de voix entre 2002 et 2017, et recueille près de 11 millions de suffrages. Nous avons donc un nouveau Président de la République qui aura comme première responsabilité de rassembler et de faire preuve d’humilité face aux résultats. Un résultat net oui, mais pas d’adhésion à son programme : seuls 16% des électeurs de 2nd tour d’Emmanuel Macron disent avoir voté pour lui pour son programme. Ceci, ajouté au nombre record de bulletins blancs et nuls et au niveau d’abstention, démontre l’essoufflement de la Vème République.

1/ La réforme du code du travail par ordonnance

Alors que la loi Travail est toujours rejetée par 70% des françaises et français, et que son application confirme malheureusement les critiques de la CGT, Emmanuel Macron indique dans son programme vouloir continuer à réformer le code du travail, cette fois par ordonnance et pendant l’été. Il s’agirait, rappelons le, de la 5eréforme ayant fragilisé le code du travail en 5 ans, après la loi dite de sécurisation de l’emploi (avec notamment une réforme des licenciements), la loi Rebsamen sur le dialogue social, la loi Macron et la loi Travail.

 Le contenu :

  • L’instauration d’un plafonnement des condamnations prudhommales pour les employeurs en cas de licenciement abusif, mesure sur laquelle le gouvernement a justement été obligé de reculer au printemps dernier. Cette disposition revient à légaliser les licenciements abusifs. La protection en matière de licenciements constitue la clé de voûte du code du travail : comment faire respecter ses droits, réclamer le paiement de ses heures sup ou faire usage de sa liberté d’expression dans l’entreprise si on peut être mis dehors du jour au lendemain sans motif ? Cette disposition conduira à museler les salariés qualifiés à responsabilité, qui, dès lors qu’ils remettront en cause une consigne contraire à leur éthique professionnelle ou à l’intérêt général pourront aussitôt être débarqués.
  • Le renvoi à l’entreprise la quasi-totalité des droits définis actuellement par la loi ou les accords de branche, comme les salaires (hormis le salaire minimum), les règles en matière de santé et de sécurité par exemple.
  • L’extension du référendum (introduit par la loi Travail pour permettre aux salarié-es de valider des accords refusés par une majorité d’organisation syndicales) qui pourrait être déclenché directement par l’employeur (aujourd’hui seules les organisations syndicales peuvent le lancer)
  • La suppression des instances de prévention et de contrôle de la santé et de la sécurité des salarié-es, les CHSCT.

La méthode est particulièrement scandaleuse puisqu’elle consiste à contourner le parlement (et les acteurs sociaux) en réformant par décision unilatérale du gouvernement, et pendant les congés estivaux ! Cependant, pour réformer par ordonnance, il faut une autorisation préalable du Parlement. Les élections législatives seront donc déterminantes. Interpellons les candidats aux législatives pour exiger qu’ils refusent de confier au gouvernement le pouvoir de légiférer par ordonnance !

2/ La réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle

Emmanuel Macron annonce une grande réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle :

  • L’ouverture du système aux indépendants et aux salarié-s après une démission, le renforcement du contrôle des chômeurs
  • La gestion tripartite du système (actuellement géré uniquement par les syndicats et le patronat) au prétexte que la dette du régime est actuellement garantie par l’Etat
  • Une réforme de son financement, avec suppression des cotisations chômage qui seraient remplacées par la CSG
  • L’utilisation des fonds de la formation professionnelle pour financer la formation des demandeurs d’emploi, la fin du paritarisme de sa gestion

Cette réforme d’ensemble pose plusieurs questions :

  • Quels financements supplémentaires pour l’ouverture de l’assurance chômage aux indépendant-es ? En effet, une telle réforme, pour constituer un progrès, suppose la mobilisation de ressources supplémentaires conséquentes. Or le régime est actuellement déficitaire, et le programme d’Emmanuel Macron prévoit de diminuer les dépenses de l’assurance chômage d’un quart en cinq ans. La menace est alors que le Président finance sa réforme par une baisse massive des droits au chômage pour les salariés déjà couverts.
  • Le changement de financement et de gouvernement du régime, avec l’abandon d’un système de cotisation sociale, induit un changement total de conception pour les droits. Actuellement, le régime est contributif, avec des salarié-es qui cotisent et perçoivent des allocations proportionnelles à leur salaire antérieur ; ce système est assortit à des mesures de répartition pour augmenter les allocations des salarié-es les plus précaires. Le caractère contributif du régime est ce qui garantit l’adhésion de toutes et tous au régime : les ICT étant moins fréquemment au chômage, leurs cotisations financent largement le système et permettent d’assurer une meilleure protection à toutes et tous. En contrepartie l’assurance chômage assure aux ICT un niveau d’allocation leur permettant de maintenir en partie leur niveau de vie, le temps de retrouver un emploi correspondant à leur niveau de qualification. C’est ce système de solidarité qui construit l’attachement commun de l’ensemble des salariés à l’assurance chômage et évite que les plus aisés cherchent à le contourner pour se tourner vers des systèmes non solidaires de capitalisation. Financer le régime par la CSG à la place des cotisations induit un changement de modèle : si le système n’est plus contributif, mais financé par tous, le lien entre salaire et prestation pourrait être remis en cause au moins en partie. L’UGICT-CGT est particulièrement inquiète par cet aspect, qui risque de servir de prétexte à un alignement vers le bas du montant et de la durée des allocations, avec la pénalisation directe des ingénieurs cadres et techniciens.
  • La répartition des richesses. Aujourd’hui, les cotisations chômage sont financées à 2/3 par la part dite employeur et 1/3 par la part dite salariale. La CSG elle est un impôt, qui repose essentiellement sur les salarié-es et ne taxe que marginalement le capital. L’augmentation de la CSG proposée par Emmanuel Macron pénalisera directement les retraité-es (et notamment les Ingés, cadres et tech retraités, Emmanuel Macron ayant annoncé que les retraité-es les plus modestes seraient exonéré-es), l’assurance chômage n’étant financée aujourd’hui que par les actifs.
  • Le maintien de la formation professionnelle des salarié-es. 15% des fonds de la formation professionnelle, financée par les cotisations salariales et patronales profitent actuellement à la formation des privé-es d’emploi. Augmenter, comme veut le faire Emmanuel Macron, la part dévolue à la formation des demandeurs d’emploi sans augmenter son financement pose plusieurs questions :

o    Cela s’inscrit dans le prolongement des plans de formation des chômeurs de François Hollande (« plan000 »), qui à force d’objectifs chiffrés, génèrent de nombreuses formations « bidon ». Surtout, ce n’est pas la formation qui crée de l’emploi ! La formation facilite le retour à l’emploi, mais une majorité de chômeurs reste sans emploi à l’issue de sa formation

o   C’est « déshabiller Pierre pour habiller Paul», et baisser la formation des salarié-es qui est déjà très insuffisante pour faire face à l’évolution nécessaire des qualifications notamment à la révolution numérique. C’est donc une mesure à courte vue, qui menace l’emploi et la compétitivité à moyen long terme des entreprises. Ce type de mesure repose sur un discours stigmatisant les Ingés, Cadres et Techs, qui sont les salarié-es qui profitent aujourd’hui le plus de la formation professionnelle. Au lieu de diminuer la formation des ICT, et plus généralement des salarié-es, pour redéployer vers les privé-es d’emploi, il faut augmenter le financement de la formation professionnelle par les entreprises qui baisse depuis des années ! S’il est indispensable de permettre une réelle formation des privés d’emploi, la formation en direction des salariés en emploi doit également être améliorée et augmentée.

  • La fin du paritarisme, et la gestion directe du régime par l’Etat. Le recul de la démocratie sociale a déjà conduit à confier à l’Etat la gestion de la Sécurité sociale, faisant ainsi reculer la couverture solidaire des salariés au profit des complémentaires santés et assurances privées. Alors que l’assurance chômage et la formation professionnelle sont deux éléments essentiels de la gestion paritaire, il ne faut pas leur faire suivre le même chemin.

3/ La remise en cause de la fonction publique

Les propositions d’Emmanuel Macron sur la fonction publique posent 3 questions :

La suppression de 120 000 postes dans la fonction publique

Emmanuel Macron a affirmé à plusieurs reprises vouloir réduire la dépense publique et supprimer 120 000 postes dans la fonction publique en 5 ans, dont 70 000 dans les collectivités territoriales et 50 000 dans la fonction publique d’Etat.

L’UGICT CGT regrette l’absence de débat de fond durant la campagne électorale sur les missions de services publics et l’appareil d’Etat. A aucun moment un vrai débat de fond sur ce dont la France a besoin en matière de services publics n’a été mené. Et pour cause, il y a eu une absence totale d’ambition pour un modèle social de société. Pis encore, Emmanuel Macron ne précise à aucun moment les missions qui seront visées par la suppression des 120 000 postes dans la fonction publique.

Cette mesure empreinte de populisme pour gagner de l’électorat en montant les salariés contre les fonctionnaires est donc irresponsable.

Le développement du recrutement sur contrat dans les fonctions non-régaliennes, afin de permettre au service public d’attirer des professionnels d’expérience en fonction des besoins

Emmanuel Macron affirme dans son programme de campagne qu’il développera le recrutement sur contrat dans les fonctions non régaliennes.

Il s’agit bel et bien d’une attaque flagrante sur le statut général et le principe républicain de recrutement par voie de concours. Ainsi, les dérives seront nombreuses concernant le recrutement de « ces professionnels d’expérience en fonction des besoins ». Le risque de voir débarquer dans la fonction publique à des postes de décisions des agents non titulaires inféodés au gouvernement est donc réel. Emmanuel Macron tente donc à travers cette proposition de casser la fonction publique française pour la calquer sur la fonction publique américaine, au sein de laquelle les agents publics sont embauchés par le parti politique au pouvoir et débarqués, une fois que celui-ci n’est plus au pouvoir.

Cette mesure est grave de sens pour l’égalité de traitement de la population. Elle remettra forcément en cause les valeurs de neutralité et d’impartialité inscrites dans le statut général de la fonction publique. Ces valeurs garantissent un traitement identique de tous les administrés. Ce sont les valeurs d’égalité portées par notre République qui seront remises en cause.

La preuve en est la proposition d’aligner le statut de ces nouveaux contractuels sur le code du travail, c’est-à-dire le privé. Ils ne seront donc plus liés au statut général qui garantissait aux administrés une égalité de traitement.

La fin de l’évolution uniforme de la rémunération dans la fonction publique

Il s’agit bien dans cette proposition de passer à une individualisation de la rémunération, notamment pour les fonctionnaires de catégorie A. Le risque existe sur l’émergence de la fameuse rémunération au mérite basée sur des critères de performance et sur « la manière de servir ». S’agissant de ce dernier point, s’il est mis en corrélation avec le recrutement d’agents non titulaires proposés ci-dessus il apparaît clairement que les fonctionnaires qui s’opposeront à toute directive manifestement illégale ou contraire aux valeurs de la fonction publique verront leur rémunération grandement diminuée.

4/ La réforme du système de retraites

Emmanuel Macron annonce une réforme d’ensemble du système de retraite pour le 1er semestre 2018. La proposition de transformer notre système de retraite en retraite par points pourrait sembler séduisante si on se contente d’un coup d’oeil superficiel. Mais pour les ICTAM comme pour l’ensemble du salariat, derrière cette proposition en trompe l’œil, ce sont des baisses drastiques de droits à retraite qui se profilent.

C’est d’abord une proposition insoutenable.

Pour qu’un euro cotisé donne le même droit pour tous, toutes générations confondues, il faudrait que la pension soit calculée en fonction de l’espérance de vie à la retraite et de surcroît de l’espérance individuelle. Tout le monde récupèrerait alors le montant de ses cotisations au cours de sa période de retraite. Sauf qu’aucun organisme n’est capable de pronostiquer des espérances de vie individuelles. Les assureurs, grands spécialistes du calcul des rentes, se réfèrent donc à des espérances de vie moyenne par génération.
Auquel cas, toutes les personnes qui ont une espérance de vie inférieure à la moyenne seraient pénalisées, car leur rente serait minorée par un calcul tenant compte d’une espérance de vie supérieure à la leur.

Inversement, les personnes qui ont une espérance de vie supérieure à la moyenne seraient favorisées par un calcul qui majore leur rente en tenant compte d’une espérance de vie inférieure à la leur. Ce qui amène nombre de commentateurs à considérer que le système ferait des gagnants et des perdants. En conséquence, le principe d’égalité justifiant la proposition d’Emmanuel Macron ne pourrait être, en aucun cas respecté, pour une raison toute simple : les individus n’ont pas tous la même espérance de vie.

Le système proposé serait-il plus avantageux que le système actuel ?

La réponse est clairement non. Tel qu’il est formulé, il institue un droit à retraite strictement proportionnel à la cotisation. Or seuls les salaires sont assujettis à cotisation. Il s’ensuit que les périodes indemnisées au titre de la maladie, du chômage ou de la maternité ne sont pas cotisées : dans le système Macron, elles n’ouvriraient donc aucun droit à retraite alors que dans le système actuel elles sont prises en compte (validées) de façon à minimiser les effets sur le montant de leur retraite des aléas de carrière subis par les salariés.
La mise en œuvre de la proposition Macron, à défaut d’un emploi garanti à vie, pénaliserait doublement les salariés : pendant leur activité et pendant leur retraite. De ce côté-là, c’est donc bien tout le monde qui serait perdant.

Par ailleurs près de 38 % des retraités bénéficient aujourd’hui du minimum contributif : ce sont des personnes qui ont une carrière complète, mais qui ont cotisé toute leur vie sur des petits salaires. Ce dispositif leur garantit le versement par leur(s) régime(s) de base d’un minimum de 629,62 euros de retraite mensuelle.
Le système proposé, en créant une stricte proportionnalité entre la cotisation et le montant de la retraite, priverait ces 4,9 millions de retraités de ce minimum, pourtant bien insuffisant …

Quant aux régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, ils versent pour 100 euros cotisés par an, parts « salariales et patronales » confondues, 6 euros de pension annuelle (auxquels s’ajoutent les prestations sociales). En conséquence, au bout de 16 ans et demi (100/6=16,66), les salariés ont récupéré toutes leurs cotisations de carrière.

Avec une espérance de vie moyenne à la retraite de 28 ans pour les femmes et de 24 ans pour les hommes, il s’ensuit qu’en moyenne, les femmes et les hommes récupèrent respectivement 1,75 et 1,5 fois leurs cotisations de carrière pendant leur retraite. Mais avec la proposition Macron, qui transforme la pension en rente viagère, ils ne récupèreraient au maximum que leurs cotisations de carrière. 

À la clef, des baisses de pension pour toutes et tous !

La proposition de Macron aurait donc pour conséquence une baisse des pensions pour tous les salariés, baisse de surcroît très inégalitaire puisqu’elle affecterait plus les femmes que les hommes, celles-ci cotisant moins en raison des inégalités de salaire dont elles sont victimes pendant leur carrière : selon la DARES, leur salaire horaire net est en moyenne inférieur de 16, 3 % à celui des hommes.

Une baisse qu’Emmanuel Macron admet implicitement en annonçant que « sans que cela ne revienne plus cher aux employeurs, nous réduirons les cotisations payées par les salariés », « nous aiderons les entreprises à embaucher en baissant les cotisations sociales employeurs » ou encore « nous réduirons leurs charges. »

Voilà qui serait fâcheux dans un système où le montant de la retraite serait proportionnel à la cotisation. En d’autres termes, pour augmenter son pouvoir d’achat d’actif, il faudrait renoncer à son futur pouvoir d’achat de retraité ! Et pour avoir un emploi, il faudrait renoncer à une partie de son salaire constituée par les cotisations ! Diminuer le financement des retraites alors que les évolutions démographiques attestent d’une augmentation du nombre de retraités, cela signifie sans ambiguïté … la baisse des pensions.

Quelle évolution du niveau de vie entre activité et retraite ?

Emmanuel Macron est discret sur le sujet. Il se borne à indiquer « Nous ne toucherons pas (…) au niveau des pensions ». Ce qui précède indique clairement le contraire. Sauf à reporter la liquidation de leur pension de plusieurs années au-delà de 67 ans, les salariés essuieront un décrochage insoutenable de leur niveau de vie. C’est la logique de la rente viagère : plus on part tôt, plus elle est basse, plus on part tard, plus elle augmente.

En Suède, où un système à la Macron est d’ores-et-déjà en place, le Premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt, déclarait dès février 2012 que les actifs devraient travailler jusqu’à 75 ans s’ils voulaient pouvoir bénéficier du même niveau de retraite qu’en 2011.

L’âge de départ cesserait ainsi d’être un droit pour devenir un arbitrage individuel que chacun pourrait exercer à partir de 62 ans. Ce qui permet à Emmanuel Macron d’annoncer tranquillement : « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite ».

La transparence politique en matière de retraite, c’est quoi ?

Elle se résume à trois engagements :

  • un niveau de pension minimum exprimé en pourcentage du salaire des meilleures années de carrière : c’est 75 % pour la CGT
  • accessible à un âge déterminé pour une carrière complète : 60 ans pour la CGT
  • l’évolution des pensions au même rythme que les salaires pour que les pouvoirs d’achat des actifs et des retraités évoluent de la même façon.

Ces trois engagements fondent la solidarité entre les générations qui est le socle de notre système de retraite et qui a fait largement ses preuves depuis 1945. Tout le reste n’est qu’enfumage ou mystification…

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